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Slimane attendait impatiemment Wahid. Suivant le système de rendez-vous dont ils étaient convenus, ils devaient se rencontrer tous les lundis à quatorze heures dans un bistrot de Belleville, rue Jean-Pierre-Timbaud. Slimane dut y patienter plus d’une demi-heure avant qu’un gamin ne vienne l’avertir qu’on l’attendait ailleurs. Un petit morveux à rollers qui le précéda en descendant la rue Jean-Pierre-Timbaud, jusqu’à République, en prenant tout son temps pour zigzaguer en virtuose entre les étrons de chien.
Wahid déambulait sur le terre-plein central, près d’une baraque à frites et d’un manège. En cas d’urgence, rien de plus facile que de s’engouffrer dans la station de métro, filer dans ses couloirs labyrinthiques, perpétuellement parcourus par une foule de voyageurs, dont de nombreux touristes.
Ils échangèrent une brève poignée de main avant d’aller s’asseoir sur un des bancs du square voisin. Slimane était bouleversé par l’arrestation de Djibril, son ex-compagnon de cellule à Fleury-Mérogis.
– Tu crois qu’ils l’ont torturé ? demanda-t-il.
Wahid haussa les épaules, fataliste.
– À leur place, qu’est-ce que tu aurais fait ? Il y a bien des sortes de tortures, tu sais, ils ont des médecins à leur disposition. Tout est une question de nuance. Une intraveineuse, c’est parfois bien plus efficace que l’électricité… la piqûre t’abrutit, tu déblatères, et, deux heures après, tu ne te souviens même plus de ce que tu as raconté. Les sionistes sont très forts là-dessus.
Slimane encaissa. Wahid parlait en connaisseur. D’une voix très douce.
– Ton ordinateur, il était propre ?
– Bien sûr, comme tu m’avais expliqué…, rétorqua Slimane.
Slimane mentait un peu. Si on cassait le disque dur, on pouvait peut-être tomber sur les portails qu’il consultait fréquemment. Du pipeau. À vrai dire, il n’en savait rien. Ces connards de frérots s’étaient dotés d’un site Internet pour leur pizzeria ! Bonjour la modernité ! Slimane s’y était connecté à maintes reprises avant de monter le coup. Photos de l’aquarium, avec Yasmina la murène, le menu, carpaccio, gorgonzola et tiramisu, sans oublier la coupe glacée spéciale Lakdaoui, deux boules vanille, une cuillerée de confiture de figues et un doigt de boukha pour aider à digérer… Rien à craindre.
Bon, la suite. Wahid remit à Slimane une somme d’argent suffisante pour se mettre à l’abri durant quelque temps. Le réseau était pauvre. Ce modeste viatique permettrait à Slimane de végéter dans un hôtel Formule 1 une semaine ou deux. Et surtout les coordonnées d’un « frère » qui allait lui bricoler un passeport.
Rendez-vous début décembre. Même endroit, même heure. En cas de changement de dernière minute, le gamin à rollers serait fidèle au poste et mènerait Slimane à bon port.